Comment exposer la polyphonie ? Part 2

"Comment exposer la polyphonie ?"

Un séminaire pour accompagner l’élaboration conceptuelle et théorique de l’exposition « Polyphone. Polyphonies visuelles et sonores ». Le séminaire "Comment exposer la polyphonie ?" est dirigé par Anne Zeitz et Mathilde Arnoux, et organisé par le DFK, en collaboration avec le musée d'art et d'histoire de la ville de Saint Denis.

À propos :

En tant que modalité mise en œuvre par les recherches artistiques, en particulier par les pratiques sonores, la polyphonie renvoie d’une part à un procédé d’écriture musicale et d’autre part à la notion développée par Mikhaïl Bakhtine dans La poétique de Dostoïevski pour caractériser les romans de l’auteur russe, avant qu’elle ne nourrisse plus largement le saisissement par les pratiques artistiques de « la multiplicité de consciences indépendantes, d’idéologies diverses et de langages différents » (Claire Stolz). Dans cette aspiration à embrasser la diversité, la polyphonie ne sollicite pas seulement l’ouïe, elle met en branle tous les sens. Du rassemblement des points de vue et des voix peuvent ressortir l’harmonie, l’unisson, autant que la cacophonie ou le conflit ; saisir ces facettes à travers une exposition questionne comment relier les écoutes des manifestations singulières et celles des manifestations collectives.

Nourrir la réflexion autour des relations artistiques à partir de la polyphonie, c’est mettre au cœur de l’observation non seulement un objet de recherche des pratiques artistiques, mais aussi une notion caractérisée par son feuilletage et dans l’épaisseur de laquelle se tissent des liens de natures et de qualités diverses : entre l’historien et les points de vue sous lesquels il aborde son objet, entre l’auteur et ses héros, entre l’artiste et ses réalisations, entre les matières constitutives de l’œuvre, ou encore entre l’artiste, ses réalisations, le lieu d’exposition et le spectateur. Comment restituer cette multiplicité des visions du monde ? Peut-on en détailler les éléments constitutifs sans en perdre la dimension composée ?

À partir de démarches artistiques interrogeant la polyphonie et d’une attention particulière prêtée aux héritages de la théorie bakhtinienne, le séminaire, en plus de s’intéresser aux facettes de cette notion, explorera les croisements entre le procédé musical et la théorie littéraire. Il s’intéressera aussi aux métaphores sonores dont use Bakhtine, tout en considérant leurs limites pour la pensée artistique.

Les séances du séminaire proposent d’explorer sous différents jours ce qui constitue la polyphonie et ses effets, que ce soit des points de vue de l’ethnomusicologie, des pratiques sonores ou encore des études littéraires. Il n’est pas question de privilégier l’une des approches, mais plutôt de reconnaître leur variété et de considérer l’incidence des choix méthodologiques sur l’orientation donnée aux analyses du terme. À partir de rencontres entre des artistes dont les œuvres interrogent la polyphonie et de chercheurs de différents horizons académiques qui ont mobilisé cette notion, il s’agit de nourrir la réflexion sur les manières de saisir la polyphonie à travers une exposition, tant du point de vue conceptuel que matériel.

Séances :

Archives

#6


La voix comme appel, présence, invocation
avec Ari Benjamin Meyers
20 mai 2022
https://dfk-paris.org/fr/event/ari-benjamin-meyers-la-voix-comme-appel

La rencontre avec l’artiste Ari Benjamin Meyers, travaillant à la frontière d’approches musicales et artistiques, lance le deuxième volet du séminaire « Comment exposer la polyphonie ? ». Organisé depuis mars 2021 au DFK Paris par Mathilde Arnoux (directrice de recherche au DFK Paris) et Anne Zeitz (maître de conférences en Arts plastiques à l’Université Rennes 2), ce séminaire accompagne l’élaboration conceptuelle et théorique de l’exposition « Polyphon(e). Polyphonies visuelles et sonores / Mehrstimmigkeit in Bild und Ton ». Quatre premières séances avaient précédé l’inauguration de l’exposition à Gera (Museum für Angewandte Kunst et Kunstsammlung Gera – Orangerie, 2 juillet au 19 septembre 2021). Pour l’ouverture du deuxième volet de l’exposition à Saint-Denis (Musée d’art et d’histoire Paul Éluard, 20 mai au 7 novembre 2022), nous poursuivons la réflexion à travers de nouvelles rencontres avec artistes et théoriciens.

Dans la dernière séance du séminaire le 29 novembre 2021, Ari Benjamin Meyers a été invité à présenter la façon dont son travail questionne les contextes historiques et institutionnels dans lesquels prennent forme la transcription, la représentation, l’interprétation et l’écoute musicales. Ce retour sur ses projets passés a servi d’introduction au projet performatif, développé par la suite avec des étudiants de l’Université Rennes 2, dans le cadre de la préparation d’une répétition publique à l’EUR CAPS.

Pour cette nouvelle rencontre, l’artiste propose l’écoute d’extraits de ses projets récents, notamment Forecast réalisé pour la Volksbühne de Berlin (2020). Avec le recours d’acteurs et de musiciens, ce travail interroge le désir de prédictibilité et la manière dont celui-ci se cristallise dans la météorologie. À travers des voix et des sons qui ont tendance à s’entremêler, Forecast reflète les rapports entre des phénomènes naturels et leur interprétation, ainsi que les temporalités de l’expression sonore et de la perception.

#7


La voix dans sa singularité
avec Lerato Shadi et Adriana Cavarero
25 mai 2022
https://dfk-paris.org/fr/event/lerato-shadi-adriana-cavarero

Cette rencontre entre l’artiste Lerato Shadi et la philosophe Adriana Cavarero, accompagnée par Daniele Balit (ISBA, Besançon), Lorenzo Bernini (Università di Verona) et Katja Gentric (ESADHaR, Rouen), fait partie du séminaire « Comment exposer la polyphonie ? ». Organisé depuis mars 2021 au DFK Paris par Mathilde Arnoux (directrice de recherche au DFK Paris) et Anne Zeitz (maître de conférences en Arts plastiques à l’Université Rennes 2), ce séminaire accompagne l’élaboration conceptuelle et théorique de l’exposition « Polyphon(e). Polyphonies visuelles et sonores / Mehrstimmigkeit in Bild und Ton ». Quatre premières séances avaient précédé l’inauguration de l’exposition à Gera (Museum für Angewandte Kunst et Kunstsammlung Gera – Orangerie, 2 juillet au 19 septembre 2021). Pour l’ouverture du deuxième volet à Saint-Denis (Musée d’art et d’histoire Paul Éluard, 20 mai au 7 novembre 2022), nous poursuivons la réflexion à travers de nouvelles rencontres avec artistes et théoriciens.

Aux prises avec les développements sociaux nés de la décolonisation, notamment dans le contexte sud-africain, Lerato Shadi questionne les manières de donner à entendre sa voix. Face à la violence du langage, elle s’intéresse à comment traduire et raconter l’irracontable, comment envisager un rapport avec une histoire marquée par la stigmatisation et l’oppression. À travers installations, performances, vidéos et textes, la voix s’expose et se dérobe à la fois, elle est singulière tout en créant ce que Katja Gentric a intitulé un « polylogue » et qui se situe au seuil de l’intelligible.

Les écrits majeurs de la philosophe Adriana Cavarero se concentrent sur les phénomènes vocaux incarnés et non-sémantiques. Elle propose une « politique de la voix » à travers une relecture de l’histoire de la philosophie qui prête une attention particulière aux voix féminines dans la mythologie grecque. Par-delà la transmission de contenu, la voix y est envisagée comme porteuse de singularité et de signification. De son dernier ouvrage Surging Democracy ressort la définition d’un son particulier de la pluralité, un « bruissement pluriphonique » (pluriphonic rustle). Celui-ci caractérise la sonorité particulière de la pluralité des expressions vocales au sein de foules – qu’elle distingue des masses – et des liens qu’elles entretiennent lors de rassemblements. À partir de ces réflexions, Adriana Cavarero propose une histoire alternative, voire une contre-histoire de la voix dans ses rapports sociaux-politiques et philosophiques en pointant le caractère unique de celui qui la fait résonner.

#8


La voix et la loi
Avec Lawrence Abu Hamdan et Mladen Dolar
7 novembre 2022
https://dfk-paris.org/fr/event/lawrence-abu-hamdan-mladen-dolar-3209.html

Part 1 - Lawrence Abu Hamdan

Part 2 - Mladen Dolar

La rencontre entre l’artiste Lawrence Abu Hamdan et le philosophe Mladen Dolar, accompagnée par Daniele Balit (ISBA, Besançon) et Katja Gentric (ESADHaR, Rouen), fait partie du séminaire « Comment exposer la polyphonie ? ». Organisé depuis mars 2021 au DFK Paris par Mathilde Arnoux (directrice de recherche au DFK Paris) et Anne Zeitz (maître de conférences en Arts plastiques à l’Université Rennes 2), ce séminaire accompagne l’élaboration conceptuelle et théorique de l’exposition « Polyphon(e). Polyphonies visuelles et sonores / Mehrstimmigkeit in Bild und Ton ». Quatre premières séances avaient précédé l’inauguration de l’exposition à Gera (Museum für Angewandte Kunst et Kunstsammlung Gera – Orangerie, 2 juillet au 19 septembre 2021). Pour l’ouverture du deuxième volet de l’exposition à Saint-Denis (Musée d’art et d’histoire Paul Éluard, 20 mai au 7 novembre 2022), nous poursuivons la réflexion à travers de nouvelles rencontres avec artistes et théoriciens.

À travers des œuvres multiformes souvent réalisées en collaboration avec des scientifiques et des activistes, Lawrence Abu Hamdan se concentre sur la façon dont la voix peut être utilisée comme source de renseignement sur l’identité d’individus, ainsi que sur l’écoute analytique. Il questionne en particulier l’usage fait, dans le cadre des politiques migratoires contemporaines, de logiciels d’analyse vocale destinés à évaluer les origines des demandeurs d’asile. Ces dispositifs font abstraction du contenu narratif des témoignages, en faveur d’une focalisation sur les timbres et les intonations des voix. Les voix y sont finalement homogénéisées et acquièrent une valeur juridique que décortique l’artiste.

Mladen Dolar, philosophe, a développé une importante théorie de la voix qui prend en compte les champs psychanalytiques, linguistiques, esthétiques, éthiques, politiques ainsi que métaphysiques. Il questionne notamment le rapport de la voix à la loi. Partant des écrits de Kafka, il identifie une voix dénuée de sens par laquelle « rien n’est dit ». Il y reconnait la voix de la loi – non-localisable et dont l’existence est présumée – qui chez Kafka se manifeste à travers des sons étranges, des vocalisations sans signification et des bruissements émis par des sujets indéfinis. Dolar se penche sur l’écoute de ces divers bruissements – parfois presque inaudibles – et silences. Il interroge les rapports éthiques et politiques dans lesquels se tient celui qui, face à des forces insaisissables, exerce cette écoute.

#9


30 mai 2023 : A bout de souffle / Breathless
Avec Ari Benjamin Meyers, Jean Torrent, Peter Szendy
30 mai 2023
https://dfk-paris.org/fr/event/a-bout-de-souffle-breathless-3715

Partie 1 : Ari Benjamin Meyers, lecture de Jean Torrent, projection de forecast

Partie 2 : Peter Szendy

!La rencontre entre l’artiste Ari Benjamin Meyers et le philosophe et musicologue Peter Szendy, accompagnée par une lecture du traducteur et dramaturge Jean Torrent, fait partie du séminaire « Comment exposer la polyphonie ? ». Organisé au DFK Paris par Mathilde Arnoux (directrice de recherche au DFK Paris) et Anne Zeitz (maître de conférences en Arts plastiques à l’Université Rennes 2), ce séminaire a fortement contribué à l’élaboration conceptuelle et théorique de l’exposition « Polyphon(e). Polyphonies visuelles et sonores / Mehrstimmigkeit in Bild und Ton ». Quatre premières séances avaient précédé l’inauguration de l’exposition à Gera (Museum für Angewandte Kunst et Kunstsammlung Gera – Orangerie, 2 juillet au 19 septembre 2021), puis quatre autres ont été organisées le temps de l’ouverture du deuxième volet de l’exposition à Saint-Denis (Musée d’art et d’histoire Paul Éluard, 20 mai au 7 novembre 2022). Cette dernière séance avec Ari Benjamin Meyers et Peter Szendy, dont les écrits n’ont cessé de nourrir nos questionnements au fil des rencontres, nous permet d’envisager une fin au cycle « Comment exposer la polyphonie ? », qui a démarré en mars 2021, sans pour autant clore nos réflexions.

Ari Benjamin Meyers a cheminé aux côtés du séminaire « Comment exposer la polyphonie ? » depuis le début, notamment à travers des présentations de projets performatifs comme Duet, montré dans l’exposition « Polyphon(e) », et La Musique n’est pas…, réalisé avec les étudiants de l’Université Rennes 2, puis une rencontre au musée de Saint-Denis autour de Forecast, œuvre théâtrale et musicale à grande échelle. Nous reviendrons dans cette séance sur la version filmée de Forecast (partie 1) qui explore les phénomènes météorologiques et le changement climatique et en fait le point de départ d’une méditation sur la prévisibilité et l’idée que l’humanité, avec son besoin de pronostic et de progrès, est un inventeur de l’avenir. Conçue comme un examen des crises contemporaines et de leur imprévisibilité, la pièce n’a pu être accomplie telle qu’elle avait été initialement conçue, interrompue par la pandémie en 2020. Avec deux actrices, sept musiciens et une équipe de machinistes de la Volksbühne de Berlin, Ari Benjamin Meyers a finalement réalisé une version filmée de la performance sous la forme d’une série de cinq courts métrages, produite en mars 2021. Depuis, le texte allemand de la première partie a été traduit en français par Jean Torrent et publié sur AOC et une version performée en anglais de la première partie avec un acteur et trois guitaristes sera présentée au MUDAM de Luxembourg en juillet et au Kunstmuseum Liechtenstein en octobre 2023. Nos dernières discussions autour de Forecast ont surtout porté sur la voix, en particulier celle de l’actrice qui lit le texte de la première partie, de manière urgente et essoufflée, luttant avec le son et le rythme des instruments qui l’accompagnent. Dans le dernier projet d’Ari Benjamin Meyers, la performance UNLESS dans le cadre de Paysages partagés, initiés par le Théâtre Vidy-Lausanne et Rimini Protokoll, sept artistes ont été invités à intervenir à l’extérieur, entre champs et forêts. Le tout dernier moment de cette production d’une journée est la partie finale de UNLESS intitulée « …for the Air » : les musiciens courent à toute allure vers le public, une fois arrivés à bout de souffle, ils commencent à interpréter la partition. En plus de regarder la partie 1 de Forecast, nous écouterons la lecture d’un extrait de la traduction française par Jean Torrent et discuterons de la relation entre les deux projets qui ont évolué, et évoluent toujours, de manière complémentaire.

Nous poursuivrons les échanges avec Peter Szendy, philosophe et musicologue, professeur de littérature comparée à Brown University (Providence, RI), qui dans ses recherches actuelles, elles aussi présentées sur AOC, interroge les possibilités d’un « souffle commun ». Il aborde le sujet de manière littéraire et philosophique, en explorant toute une série de textes qui parlent du souffle partagé et qui vont de Cicéron à Jacques Lacan en passant par Hermann Broch, Elias Canetti ou Frantz Fanon. Partant du sens enfoui du terme conspiration, il révèle les dimensions à la fois cosmologique et politique du fait de « respirer ensemble ». Le souffle offre à Szendy l’occasion de penser les vulnérabilités ensemble avec la finitude et d’ouvrir à une réflexion socio-politique sur l’essoufflement. Réciprocité et partage sont au cœur de son approche, déjà engagées dans ses précédentes recherches. Ses ouvrages, notamment Écoute. Une histoire de nos oreilles (2001), Sur écoute. Esthétique de l’espionnage (2007) et Pouvoirs de la lecture. De Platon au livre électronique (2022), prêtent une attention particulière aux fragilités, incertitudes et fluctuations qui participent des rapports entre destinateurs et destinataires de ces actes si discrets que sont l’écoute ou la lecture.

À propos de l'exposition "Polyphone"

"Polyphone. Polyphonies visuelles et sonores" propose des expériences sensorielles pour penser le monde à travers la rencontre avec des œuvres visuelles et sonores de 14 artistes internationaux qui dévoilent le potentiel poétique et politique de l’écoute. Les installations, performances, dessins, photographies et vidéos présentés sont issus de différents contextes de création, tant historiques – des années 1970 à aujourd’hui – que géographiques – dont l’Allemagne, la France, le Liban, les Etats-Unis, le Japon et l’Afrique du Sud. Ces œuvres questionnent les effets et le pouvoir de voix et de sons pluriels dans la société contemporaine.

Commissariat : Anne Zeitz, Maîtresse de conférences à l’Université Rennes 2, et Anne Yanover, directrice du musée d’art et d’histoire Paul Eluard

Les artistes : Lawrence Abu Hamdan, Félicia Atkinson, Kazumichi Fujiwara, Rolf Julius, Christina Kubisch, Vincent Meessen, Will Menter, Ari Benjamin Meyers, Rie Nakajima, Max Neuhaus, Natascha Sadr Haghighian, Matthieu Saladin, Lerato Shadi, Jorinde Voigt

Exposition réalisée en partenariat avec la Ville de Gera, le Centre allemand d’histoire de l’art (DFK Paris) et l’Université Rennes 2, et soutenue par la Drac Île-de-France, le Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis et la Fondation Culturelle Fédérale en Allemagne

https://musee-saint-denis.com/event/polyphone-exposition/